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Michel Barnier : « Un accord sur le Brexit est très difficile, mais il reste possible »

Est-ce le décor magique du théâtre parisien des Bouffes du Nord ? La salle comble, à guichets fermés, qui l’a applaudi dès son entrée sur scène ? Le moment crucial que traversent les négociations sur le Brexit auxquelles il consacre sa vie depuis exactement trois ans pour gérer, au nom de l’Union européenne, ce divorce historique ?
Invité du Monde Festival, samedi 5 octobre, Michel Barnier, 68 ans, avait laissé au vestiaire l’image du « technocrate sans charisme » pour livrer une leçon passionnée et émouvante sur l’Europe et sur le Brexit, cette aventure « perdant-perdant » qu’il était déterminé à conduire « de manière ordonnée ».
Se doutait-il de la difficulté de ce qui l’attendait, lorsque Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, lui a demandé, peu après le référendum britannique en 2016, de se charger de ce dossier sans précédent ? « J’ai imaginé que ce serait très compliqué, et je n’ai pas été déçu ! » répond-il. Il s’agissait, après tout, de « détricoter quarante-quatre ans d’intégration » avec un pays qui s’apprête à « quitter près de 700 accords ».
Ce samedi encore, quatre jours après la remise d’une ultime offre d’accord par le gouvernement britannique de Boris Johnson, à deux semaines d’un Conseil européen déterminant et à trois semaines de la date fatidique du 31 octobre à laquelle, sauf report, le Royaume-Uni devrait se séparer de l’UE, M. Barnier juge « un accord très difficile, mais possible ». Si Londres ne « revient pas avec de nouvelles propositions sur deux problèmes graves que nous leur avons signalés, je ne vois pas comment nous pourrions avancer », dit-il. Ces problèmes portent sur le retour des contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, et sur le droit de veto sur l’accord que Londres souhaite accorder à l’Irlande du Nord.
« Le « no deal » ne sera jamais le choix de l’UE », précise-t-il. S’il se produisait, « ce serait – et je tiens à souligner le conditionnel –, ce serait le choix du Royaume-Uni ».
Avec une clarté pédagogique captivante, l’ancien ministre se fait alors professeur pour expliquer sa méthode Brexit. Cette méthode, c’est d’abord celle de « la transparence », dont il reconnaît qu’elle n’était pas forcément la règle à Bruxelles. « J’ai une conviction, depuis le début de cette négociation, c’est qu’elle ne peut pas être secrète, c’est pourquoi je suis venu en parler », explique-t-il aux spectateurs. Le négociateur en chef obtient de s’entourer d’une équipe de choc : une cinquantaine de personnes, « moyenne d’âge 38 ans, paritaire, représentant dix-huit nationalités », menée par deux femmes : l’Allemande Sabine Weyand, adjointe de M. Barnier pendant ces trois ans, qui vient d’être nommée directrice générale de la Commission pour le commerce, et la Française Stéphanie Riso, qui devrait diriger le cabinet de la désignée commissaire Sylvie Goulard.
Michel Barnier se fait fort d’« informer en permanence » les Vingt-Sept, ainsi que le Parlement européen. En trois ans, il a fait trois fois ce tour d’Europe.
Autre conviction de Michel Barnier, sur la difficile question de l’Irlande qui s’est révélée, avec le fameux backstop, la pierre d’achoppement du Brexit : « Nous devons préserver l’unité de l’île », puisque les accords de paix du Vendredi saint de 1998 excluent le retour d’une frontière physique entre les deux Irlandes, « mais aussi protéger l’intégrité du marché unique européen ». L’Irlande, Nord et Sud, il l’a bien connue, comme commissaire européen à la politique régionale à l’époque des accords de paix. Et, de toute évidence, elle lui tient à cœur.
Lorsque, raconte-t-il, lors d’un récent déjeuner, Boris Johnson lui dit, comme le pasteur Ian Paisley, « que les Irlandais du Nord sont britanniques mais leurs vaches irlandaises », il lui rétorque, « mais vos vaches, Monsieur, elles sont européennes ! » « Good point ! », concède Boris Johnson. Et, lorsqu’on lui demande si on ne s’est pas parfois perdus dans la technicité des détails de la négociation, la réponse fuse, indignée : « Mais la paix, ce n’est pas technique ! »
Michel Barnier se souvient alors d’une réunion qu’il a eue avec une vingtaine de femmes il y a un an à Dungannon, en Irlande du Nord, une région très marquée par la violence : « Elles travaillaient dans un programme de coopération entre le Nord et le Sud. Certaines pleuraient, elles me disaient qu’il ne fallait pas que ça recommence, qu’elles ne voulaient plus voir leurs frères, leurs maris, partir et ne pas revenir. Elles me disaient : ne nous lâchez pas. Nous avons une responsabilité vis-à-vis d’eux. »
« La question de la paix et de la stabilité en Irlande, ça n’est pas technique, reprend-il. La protection de la santé des consommateurs européens, ça n’est pas technique, ni leur sécurité juridique. Seules les solutions le sont. Les problèmes du Brexit sont concrets, immédiats pour des millions de citoyens, et on doit trouver dès maintenant des solutions durables. Car le Brexit n’est pas provisoire, et la paix ne peut pas être provisoire non plus. »
« Accord ou pas, ce n’est pas la fin de l’histoire, toute la future relation avec le Royaume-Uni reste à définir »
Et si les négociations échouent ? « Nous sommes prêts pour un « no deal », même si nous ne le souhaitons pas », assure-t-il. Et puis, « accord ou pas, ce n’est pas la fin de l’histoire. Toute la future relation avec le Royaume-Uni reste à définir. Le plus important, c’est la reconstruction. »
Diplomate, Michel Barnier refuse de commenter le naufrage de la vie politique britannique. Il ne recule pas, en revanche, devant « les leçons du Brexit » : il faut, dit-il, répondre « à la colère sociale » qui fait le lit du populisme, et parler d’Europe aux citoyens. Sur l’Europe, « dans notre pays, trop d’hommes et de femmes politiques rasent les murs au lieu de marcher au milieu de la route ».
« Le Royaume-Uni a choisi d’être solitaire plutôt que solidaire », regrette-t-il. « Avec les évolutions du monde actuel, les pays européens, individuellement, ne seront plus à la table des grands pays de ce monde en 2050. Si nous voulons participer au nouvel ordre mondial, il faut être autour de la table. » Le seul moyen, « c’est d’être ensemble, à Vingt-Sept ».
Un spectateur se lève, lui dit qu’il est venu de loin pour le remercier. Et, avant la dernière longueur du Brexit, les Bouffes du Nord offrent à Michel Barnier une ovation debout.
La rédaction du Monde a organisé, du 4 au 7 octobre à Paris, un festival de débats, spectacles et rencontres avec une centaine de personnalités.
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Eléa Pommiers et Sylvie Kauffmann
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